Peut-on donner des antidépresseurs aux enfants et aux adolescents ? La question fait l’objet d’un débat houleux. Plusieurs études ont montré l’inefficacité de ces médicaments chez les plus jeunes, parfois même accusés d’augmenter les risques de suicide ! Explications avec le Dr Maurice Corcos, pédopsychiatre psychanalyste à l’Institut Mutualiste Montsouris.
Pourquoi une telle défiance soudaine vis-à-vis desantidépresseurs pour les enfants ?Dr Corcos : Cela fait très longtemps que la question des traitements médicamenteux dans la dépression de l’enfant et de l’adolescent se pose. Mais les professionnels de santé se sont inquiétés avec un incontestable retard de la validité scientifique de ces prescriptions. Des études sur l’utilisation des antidépresseurs chez l’enfant ont ainsi montré qu’ils n’avaient pas d’efficacité supérieure à celle d’un placebo, à l’exception de la fluoxétine qui est le seul antidépresseur à avoir une AMM en France pour les enfants de moins de 18 ans (à partir de 8 ans) souffrant d’un épisode dépressif majeur mais seulement en cas d’échec d’une psychothérapie. Cette dernière doit d’ailleurs être poursuivie malgré la prescription d’un antidépresseur qui doit être faite par un spécialiste en pédopsychiatrie. Ainsi, ces médicaments sont indiqués dans certaines dépressions majeures et avérées de l’enfant et de l’adolescent. Simplement,on assiste à un mouvement de balancier : alors qu’auparavant, l’idée qu’un enfant puisse être déprimé était déniée, on est tombé aujourd’hui dans l’excès inverse. On considère trop rapidement que des enfants sont dépressifs et on recourt à une surprescription d’antidépresseurs, non seulement inefficace mais aussi dangereuse au sens ou elle entrave un travail de maturation psychologique.Rappelons encore que chez l’enfant et l’adolescent souffrant d’un épisode dépressif majeur, la psychothérapie est le traitement de référence et qu’e seulement en cas d’échec ou de sévérité particulière, la prescription d’un antidépresseur peut éventuellement être envisagée.Mais la question soulevée est aussi le danger des antidépresseurs, qui provoqueraient des idées suicidaires. Que pensez-vous de ce risque ?Dr Corcos : Il faut être clair, il n’existe pas de médicament “suicidogène“ ! La dépression est un syndrome, qui concrétise un malaise plus profond. Elle sert à protéger le malade d’une angoisse qui risque de désorganiser son équilibre psychique. Les ralentissements physiques et psychiques provoqués par la dépression permettent de protéger le sujet, notamment contre ses pulsions suicidaires. Si on donne uniquement des antidépresseurs, sans offrir dans le même temps un soutien psychologique, on risque de faire disparaître les“défenses“ même imparfaites mises en place par l’organisme et ce sans avoir apaisé suffisamment la douleur psychique. Ce qui va faire augmenter les risques de passage à l’acte suicidaire… Mais dans tous les cas chez l’enfant et l’adolescent dépressif, une surveillance étroite s’impose pour éviter le passage à l’acte suicidaire, avec ou sans antidépresseurs. Mais dans tous les cas, un enfant ou adolescent dépressif doit être étroitement surveillé et suivi pour prévenir le risque suicidaire.Est-ce que cela signifie qu’on ne peut pas prescrire d’antidépresseurs sans un soutien psy ?Dr Corcos : Si les antidépresseurs sont parfois indispensables et qu’ils préviennent le risque suicidaire chez certains déprimés enfermés dans une logique morbide, ils ne sont jamais suffisants seuls. Placez-vous du point de vue de l’adolescent : il a conscience des causes de sa douleur psychique, et de l’origine de sa dépression. Si on lui fait entendre qu’une molécule va d’un seul coup résoudre tous ses problèmes, il sait que ce n’est pas possible : comment un médicament pourrait-il faire disparaître les causes de ces blessures psychologiques ? Cela aggrave même son désarroi de ne pas avoir été compris ou d’être sous un contrôle biologique dont il n’a pas la maîtrise. Le traitement ne peut agir que sur le cortège des symptômes physiques et sur des troubles cognitifs… ce qui n’est pas rien. Mais en aucun cas il n’a d’action directe sur la façon dont le sujet est affecté douloureusement par son monde interne et externe.Cette dimension psychologique nécessitera une autre approche de type psychothérapeutique.Pensez-vous que la France devrait, comme aux Etats-Unis, mettredes avertissements destinés aux parents sur les boitesd’antidépresseurs ?Dr Corcos : Aux Etat-Unis, les industriels et l’Etat cherchent à se couvrir, pour éviter les procès! C’est une attitude purement pragmatique qui risque d’avoir des effets délétères : les parents vont se méfier des médicaments et ne souhaiteront pas les utiliser lorsqu’ils seront réellement nécessaires !Pour moi, il est toujours préférable de commencer par associer un soutien psy à la prise d’antidépresseurs mais seulement dans les cas sévères et après échec d’une psychothérapie. Le problème est que de plus en plus de médecins généralistes prescrivent ces médicaments. Or malheureusement ils manquent de formation en matière de troubles psychologiques en général, et chez l’enfant et l’ado en particulier. Il est impossible, en quelques minutes, de déterminer la profondeur d’une dépression, et de savoir si elle nécessite la prise d’antidépresseurs.La tendance à la réponse “technique“ est forte ! Ceci a amené les autorités de santé à restreindre la prescription d’antidépresseurs chez l’enfant et l’adolescent aux seuls pédopsychiatres, avec un suivi étroit en milieu spécialisé et la poursuite de la psychothérapie.Les médecins généralistes ne devraient pas prescrire des psychotropes ?Dr Corcos : On peut faire un constat simple : dans bon nombre de cas de tentative de suicide, les malades avaient vu un médecin généraliste dans les 15 jours précédents. Et ils ont tenté de mettre fin à leurs jours avec les médicaments prescrits par celui-ci ! On doit réserver la prescription de certains médicaments aux spécialistes, comme je l’ai dit. Mais ils ne sont pas assez nombreux… Certaines solutions peuvent permettre de surmonter cette difficulté. Ainsi, des cothérapies avec un psychiatre et un généraliste peuvent se révéler efficaces.Que diriez-vous aujourd’hui à des parents quis’inquiètent pour l’équilibre psychique de leursenfants ?Dr Corcos : Si des parent sont inquiets pour leur enfant, il ne faut pas hésiter à consulter un psychiatre. Il faut les rassurer : cela n’aggravera jamais les choses ! Lorsque les inquiétudes ne sont pas fondées, un dialogue avec le spécialiste suffira, dans les autres cas, cette consultation permettra de dépister et de prendre en charge précocement des troubles dépressifs. Et si un pédopsychiatre prescrit des médicaments psychotropes,ils peuvent lui accorder leur confiance.Propos recueillis par Alain Sousa